Je suis comme presque tout le monde, je possède un téléphone portable. Bon ce n’est pas le plus sophistiqué mais c’est un smartphone (quand même!). On entend par là :
« ordiphone ou téléphone intelligent, téléphone mobile évolué disposant des fonctions d’un assistant numérique personnel, d’un appareil photo numérique et d’un ordinateur portable… ».
Il faut aussi savoir que je fais partie des gens à qui on pourrait répondre sur un ton sensiblement agacé : « RTFM ! », acronyme anglais de la phrase « Read the fucking manual ». Cette instruction, surtout utilisée dans le jargon informatique, étant parfois donnée quand la réponse à une question peut être facilement trouvée dans un mode d’emploi. Comme je n’utilise que les fonctions téléphone/SMS/MMS et appareil photo, je l’ai toujours survolé à la vitesse de la lumière.
Je savais déjà que les hommes, et certains plus que d’autres, étaient doués d’intuition mais lorsque j’ai appris il y a plusieurs années que les téléphones l’étaient aussi, j’en ai été émerveillée et j’ai été à deux doigts d’éprouver de l’empathie pour eux. En effet, ils étaient doués d’écriture intuitive (ou prédictive), plus communément appelée T9. Ce mode d’écriture vous permet de réduire de moitié le temps consacré à la rédaction de votre message. Comme vous le savez probablement, il s’agit d’un procédé avancé permettant de reconnaître automatiquement les mots correspondant aux combinaisons de lettres saisies. Je me suis vite rendue compte que leur intuition n’était pas toujours juste. Par exemple, lorsque je tape les 4 premières lettres du mot bonheur, il se prend pour un guide touristique et propose hong kong, hongrie…ou bonnet…
L’autre jour, alors que je m’évertuais, pour la énième fois depuis plusieurs jours à vouloir supprimer un message d’erreur de mon téléphone « le message n’a pas été envoyé, sélectionner le message pour le relire… » et que je n’y arrivais pas vu que je n’ai pas lu le « fucking manual », je tentais le coup en fouillant dans ma liste de sms et de ses brouillons (en vain). C’est alors que j’ai dû appuyer par inadvertance sur une touche ou deux et que je suis arrivée sur le mode :Insertion d’un texte rapide. -Diantre-, me suis-je dit in petto (j’adore placer cette expression…), ce téléphone est à ce point évolué et dispose des fonctions d’un assistant numérique personnel qu’il est capable de me trouver des phrases toutes faites, fréquemment utilisées, adaptées aux situations les plus larges et disons…relativement pertinentes pour « l’homme et la femme d’aujourd’hui » (dans son acception anthropologique).
Je lus donc la première proposition :
Où es tu ?
Voici une question tout à fait…intéressante…voire même utile et ouvrant tous les champs des possibles. En effet, elle appelle plusieurs réponses : « à la maison/ au travail/ dans la rue/ au lycée/dans un sous-marin (encore faut il que ça capte évidemment)/ aux toilettes (la nomo(bile) phobie concernant les personnes qui ne quittent jamais leur téléphone portable de peur de rater un appel…). Plus sérieusement cela peut être utile si on ajoute « peut tu acheter le pain ? ». A moins que ça ne serve à l’homme ou la femme jalouse lors de son interrogatoire habituel, et dans ce cas, la proposition de texte rapide numéro 2 « que fais tu ? » est tout à fait appropriée et peut être accolée. L’autre interlocuteur peut alors et éventuellement utiliser la suggestion numéro 5 « Je rentre », histoire d’apaiser l’angoisse de l’autre.
la deuxième :
Que fais tu ?
Encore une autre question tout à fait pertinente. On imagine tout à fait le dialogue possible avec un cas pré-cité :
-
Où es tu ?
-
Aux toilettes.
-
Que fais tu ?….
-
Euh…à ton avis ?
Dans ces deux textes rapides, on nous suggère, néanmoins, une attitude commune aux hommes à savoir la curiosité ! Reste à savoir si elle est bonne (lorsqu’elle aide à l’intelligibilité du monde) ou si elle garde son étiquette de « vilain défaut » (lorsque les questions sont ressenties comme gênantes ou envahissantes…).
La troisième :
Rappel ! S’il te plait !
Je passe sur la présumée faute au premier mot qui aurait été préférable à l’impératif soit : Rappelle !
On note cependant le désir de politesse accompagnant une demande assez injonctive et cela même si la deuxième partie semble avoir été rajoutée à la va-vite, comme pour enlever la culpabilité surgit brusquement. J’imagine que ce texte est réservé…aux urgences ! Et encore on peut déplorer que le portable ne soit pas assez « évolué » pour délivrer ces mêmes messages mais vocalement et avec différentes tonalités d’urgence dans la voix…en effet, le caractère de l’urgence reste toujours très subjectif. Et si l’on se permet de l’envoyer, il faut espérer que ce ne soit pas trop important car premièrement on ne sait jamais quand l’interlocuteur lira le message et deuxièmement… s’il s’éxécutera !
La quatrième :
Navré, j’ai une réunion.
….Bon, dans ce cas, la première question qui me vient est « quel est le pourcentage de la population qui a, régulièrement, une réunion ? ». Et puis cela signifie-t-il « navré, je ne peux vous répondre, je suis en réunion » et dans ce cas là, faut quand même que la personne prenne son téléphone, effectue une ou deux manips pour renvoyer ce message….à moins de le faire discrètement sous la table….bon d’un autre côté, je m’y connais autant en « manual » qu’en « conduites à tenir en réunion »… ou bien est-ce une réponse à une demande comme « est-ce qu’on peut se voir ? » ou « Rappel ! S’il te plait »… Dans tous les cas, j’imagine que celui ou ceux qui ont trouvé ces phrases pertinentes se sont un jour, assis à une table de réunion, pour faire un brainstorming sur « les phrases de l’insertion de texte rapide ». Je me dis alors : à quoi sert ce genre de réunion ? parce qu’on trouve aussi :
Ne t’inquiète pas ! Je vais bien.
Et là, on peut en avoir l’utilité si on vit avec quelqu’un de très anxieux et qui s’inquiète régulièrement de savoir si vous n’avez pas eu un accident ou…si on vit dans un pays en guerre…j’sais pas…
de même « je rentre » et « je serai bientôt là » est ce pour rassurer ou juste pour informer ?
quant à la palme d’Or : Tu as intérêt à venir ! Sinon quoi ? Est-ce ironique ? Parce que si on l’emploie trop…ça devient moins drôle ; ou est-ce du même acabit inquisiteur que « où es tu ?/ que fais-tu ? » ou autoritaire « Rappel !..»
Et c’est bien là le problème, sorties du contexte, sorties de la conversation, du ton employé, on peut tout interpréter de ces phrases et même en créer un article qui se veut drôle mais aussi questionnant quant à la société dans laquelle nous vivons : sa culture, ses valeurs, ses comportements, ses travers… Mais quitte à trouver des phrases dans mon téléphone, des « brèves » dont j’aurai l’utilité, j’aurai préféré trouver :
« salut, ça va ? »
« je pense à toi »
« je t’aime »
« navré, je suis en train de méditer »
« tu as intérêt à mieux vivre ! »
Et vous, qu’auriez vous aimé trouver ?
Pour conclure, j’en déduis que mon portable n’est pas aussi évolué qu’il veut bien le prétendre…